L’Attila de la Bretagne ? Une autre vision du règne du roi surnommé « Charles l’affable ».
Mort pour n'avoir su baisser la tête!
(A publier dans l’IDBE ; ce texte sera intégré dans la nouvelle édition du Livre Bleu, avant la fin de 2021).
Des pans entiers de notre histoire nationale se remettent en place : voici, donc, ce qui s’est passé en Bretagne, sous Charles VIII, surnommé « l’affable ».
Le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII, en décembre 1491, à Langeais, est l’effet d’une longue guerre et d’un chantage, en aucun cas d’une volonté concertée des deux pays ennemis d’unir leurs destins. La guerre, commencée en 1487, se poursuit jusqu’en 1491. Les conditions posées par la France sont claires : ou bien la duchesse accepte le mariage qui lui est proposé – union canoniquement impossible puisqu’elle est mariée à Maximilien, roi des Romains, depuis l’année précédente, que la bigamie est strictement interdite, et que celle-ci annule le second mariage si le premier est valide -, ou bien le pays passe sous la domination de son ennemi millénaire. Jeune et mal informée de ce qui va en résulter – la duchesse a quatorze ans et demi -, harcelée de toutes parts, elle accepte le mariage, sous l’effet des pressions dont elle est l’objet, et de la menace qui pèse sur son pays qui à cette époque, est en ruine par l’effet des destructions par les armées françaises depuis les débuts de l’invasion.
Le contrat de mariage signé à Langeais le 6 décembre 1491, n’est pas un chef d’oeuvre de compromis, comme l’écrit Yvonne Labande-Mailfert (Charles VIII, page 143), mais un chef d’oeuvre de malhonnêteté. Les plénipotentiaires bretons ont cru, le canon dans le dos, une fois de plus, qu’il s’agissait d’un traité de paix – comme le traité du Verger, conclu en 1488, après le massacre de Saint-Aubin-du-Cormier -, et que ce mariage, accepté malgré eux, bien que connaissant de longue date les mœurs françaises, apporterait une ère de paix, mettrait fin à la guerre, protègerait leurs institutions, le roi de France, en épousant la duchesse, ne pouvant que se comporter comme leurs anciens ducs, protecteurs des droits et privilèges de la Bretagne. (1)
En réalité, ce texte est une collection de violations des droits pluriséculaires des Bretons. (Ce « contrat », dénoncé par d’Argentré, est analysé en détail, au regard du droit médiéval, par Louis Mélennec dans l’ouvrage Anne de Bretagne et l’ignoble guerre d’invasion qui a détruit la Bretagne…). Il précise d’une manière explicite que les deux époux se cèdent mutuellement leurs droits sur le Duché de Bretagne. C’est une imposture : Charles VIII ne possède aucun droit sur la principauté, Etat souverain, et ne peut céder ce qui ne lui appartient pas (2); d’autre part, comme nombre de souverains de son temps, la duchesse exerce une fonction au nom de son peuple, mais ne possède aucun droit de propriété sur le duché, qui est incessible, les règles de la succession étant déterminées à l’avance par la constitution de la principauté. (Idem : analyse dans le même ouvrage de Louis Mélennec, et dans son article sur La constitution de la Bretagne au moyen-âge).
C’est un régime dictatorial qu’instaure le roi de France en s’emparant de ce qui ne lui appartient pas. Il s’agit d’une annexion dure, sans aucune sorte de partage, dans aucun domaine, même si le conseil royal fait preuve d’une certaine prudence, étant habitué à gouverner des principautés qui n’appartiennent pas aux rois Valois.
- Charles VIII, loin d’exercer le gouvernement en le partageant avec sa femme, s’empare de tous les pouvoirs régaliens et ducaux du souverain breton. Il a d’ailleurs pris les devants. Outre ses prétentions absurdes à être le successeur du duc François II, qu’il affiche depuis des années, et de remplacer ses héritiers, bien avant son mariage avec Anne de Bretagne, lors de la livraison par trahison de la ville de Nantes par Alain d’Albret en mars 1491, il a cru pouvoir installer sa propre administration financière, en prenant diverses mesures relèvent de l'autorité de la duchesse, en aucun cas de la sienne. Il a institué Thomas Bohier Trésorier général (Pocquet, page 142, Lepage Dominique, page 5), et Jean Boudet contrôleur général ; le 23 avril, il a nommé un général des finances, Jean-François de Cardonne. Celui-ci, investi de pouvoirs exceptionnellement larges, est un étranger, et n’obtient ses lettres de naturalisation qu’au mois d’avril 1492.
Il contrôle tout le duché par les garnisons placées dans les villes principales.
Le 27 octobre 1491, alors qu’il n’a pas encore épousé Anne de Bretagne, il convoque les Etats de Bretagne à Vannes pour le 8 novembre, et demande qu’on lève en son nom un fouage de 6 livres six sous, pour faire face aux dépenses de la guerre …. dont il est le seul responsable (Lobineau, Histoire, page 815 ; Dom Morice, Histoire, page 210) ! Il désigne lui-même les commissaires chargés de le représenter ; parmi eux, des Bretons de haut rang, qui se sont ralliés à lui : le vicomte de Rohan, le maréchal de Rieux. Sont adjoints : les Français Cardonne, Bohier ; ce qui donne à penser que le mariage avec Anne de Bretagne est sans doute déjà fixé à cette date.
- Anne est interdite de porter son titre de duchesse, qui est omis volontairement dans le contrat de mariage de Langeais, tout comme ses titres de reine des Romains et de Hongrie, qu’elle tient de son seul mari légitime, Maximilien d’Autriche, fils de l’empereur Frédéric III. « Mariée » avec Charles VIII, la duchesse devient une sorte de captive, enfermée dans les palais de son mari, mais destituée de tous ses pouvoirs de souveraine. La dynastie bretonne disparaît, au moins provisoirement. Il est d’usage, en Bretagne, que le mari de la duchesse légitime prenne le titre de duc, par le fait de son mariage, et qu’il devienne, en quelque sorte, un « duc consort », qui exerce le pouvoir par le fait de sa femme, et avec elle, non de son propre chef. Pierre de Dreux, marié à la duchesse Alix en 1213, ne fut jamais que le baillistre – c’est à dire l’administrateur - du fils dont il engrossa sa femme, et qui fut, lui, duc de Bretagne sous le nom de Jean Ier le Roux - lorsque son père regagna la France, en 1237.
Dans ses actes, Charles VIII ose, à satiété, invoquer « notre pays et duché de Bretagne », mais ne porte jamais le titre de duc de Bretagne ; il n’est pas couronné dans la cathédrale de Rennes, comme le fut son épouse en février 1499 : depuis des années, il se croit roi dans ce pays qui lui est totalement étranger ; peut-être n’ose-t-il pas porter le titre de duc, qui ne lui appartient pas, ou craint-il les réactions des Bretons, pour qui il ne peut-être qu’un usurpateur ? L’arrogance de ses actes est surprenante.
Anne réside à Amboise avec son mari , mais est interdite d’exercer aucune fonction politique, en Bretagne comme en France. Elle est espionnée en permanence, et, malgré le luxe dont elle est entourée, vit comme un oiseau dans une cage.
- Les pouvoirs gouvernementaux sont confisqués, dans leur totalité, par celui qui se proclame roi en Bretagne.
Les impôts sont prélevés au nom de Charles VIII, non de la duchesse. (Lepage, page 7, Les pouvoirs de Cardonne). Les importantes sommes prélevées jadis sur le budget national, pour les besoins du duché, sont désormais affectés aux dépenses françaises pour l’essentiel. Nantes, qui bénéficiait de nombreuses retombées, n’a plus de cour ducale. Les sommes récoltées par le roi sont utilisées pour la satisfaction de ses besoins personnels, et pour ses guerres en Italie (Lepage et Nassiet, page 108), pour payer les pensions, dont certaines sont versées à des Français. Les productions artistiques qui flamboient dans les petites principautés italiennes et et allemandes, disparaissent, faute de duc et de hauts seigneurs, qui ont émigré vers la cour du nouveau maître (Alain Croix, L’âge d’or de la Bretagne). Pour justifier le transfert des recettes ducales et du duché, on invoque le prétendu droit de propriété de Charles VIII sur le duché, … et la nécessité de pourvoir à l’entretien de la reine …. alors qu’on s’est emparé de ce qui lui appartient ! En avril 1492, étant à Nantes, il ordonne la frappe des monnaies à son nom et aux armes de Bretagne, désigné sous le nom d’écu d’or au soleil de Bretagne. A l’avers : Karolus Dei FrancorV Rex. Le nom de sa femme n’y figure pas. (Elle se vengera lors de son retour à Nantes ; après avoir fait retirer les monnaies de son ex-mari, et les avoir fait fondre, elle fait frapper des pièces d’or à son nom, assise en majesté sur un trône).
C’est le roi, désormais, qui convoque en son nom les Etats de Bretagne – l’Assemblée nationale – sans aucune mention du nom ni des titres de la duchesse. En 1492, le chancelier Montauban ayant réuni plusieurs seigneurs importants à Vannes, de sa propre initiative, sans avoir l’ordre du roi, et voulu interdire aux agents royaux l’accès aux archives de la chambre des comptes de la ville (Pocquet du Haut-Jussé, page 153), Montauban est humilié par Charles VIII dans des termes violents, les désobéissants menacés d’être jugés, et d’être jetés en prison. Si l’on avait espéré que le roi se comporterait comme les ducs, on comprend là ce que représente pour la Bretagne, d’être gouvernée par un roi étranger, sous un pouvoir dictatorial.
- Le roi nomme désormais à toutes les fonctions civiles et militaires.
Les pouvoirs du gouvernement sont transférés aux hommes qu’il place dans tous les postes et fonctions importants. Les Bretons n’y ont accès que s’ils se soumettent et obéissent. Au plan militaire, l’armée bretonne, détruite à Saint-Aubin-du-Cormier, en juillet 1488, n’est pas reconstituée sous sa forme ancienne ; toutes les fonctions militaires, les capitaineries des villes sont confiées aux hommes du roi, et à ceux que l’on nommerait aujourd’hui des « collabos ». Le 28 octobre, avant même le mariage de Langeais, qu’il a facilité (Lobineau, I, page 814 ; Morice, page 210), le prince d’Orange est gratifié, en récompense des services rendus au roi – notamment en facilitant son mariage avec le duchesse - , de dons somptueux. Dès le 7 décembre 1491, le lendemain du mariage de Langeais, il est nommé lieutenant général du duché – non sans avoir été obligé, sous serment, à renoncer à ses droits au trône de Bretagne, car, cousin germain d’Anne de la duchesse, celle-ci n’ayant pas encore d’enfants, il est son plus proche parent, et son héritier naturel (Lobineau, I, page 814 ; Morice, page 210 ; Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII). Il est nommé également capitaine de Rennes, capitaine de Brest, gouverneur de Saint-Malo, gardien de la grande nef ducale de Morlaix, et reçoit des sommes d’argent importantes (100 000 livres selon Yvonne Labande-Mailfert), et une pension de 17 000 livres, l’une des plus importantes du royaume. Ce qui ne l’empêche nullement cet homme avisé de se préparer à trahir Charles VIII à nouveau !
- La chancellerie est abolie en 1493, au motif qu’il ne saurait y avoir deux chancelleries dans le royaume de France. Par deux ordonnances du 9 décembre 1493,et du 16 juin 1494, la chancellerie est supprimée , et remplacée par une cour de justice, qui porte le nom de Conseil. (Marcel Planiol, tome 5, page 44). Philippe Montauban reste président de cet organisme, mais sans aucun pouvoir de gouvernement, avec le titre vain de « garde du scel ». Il ronge son frein jusqu’au retour de la duchesse cinq ans plus tard, qui le rétablit dans ses titres et dans ses fonctions en 1498, le surlendemain de la mort de Charles VIII.
Les monnaies passent sous le contrôle des français. En 1492, Charles VIII fait battre une monnaie d’or à Nantes, dénommée écu d’or de Bretagne ; le nom de son épouse n’y figure pas, c’est une nouvelle humiliation infligée à la Bretagne.
Les « concessions » faites aux Bretons en juillet 1492.
Les pesanteurs françaises sont d’emblée très fortes. Mais le roi est contraint de composer, car toute l’Europe est dressée contre lui. Les Anglais, en accord avec les Allemands et les Espagnols, envisagent dès janvier 1492, quelques semaines après le mariage de Langeais, d’envahir la Bretagne, et de placer sur le trône Jean de Rohan, qui s’est réfugié en Anjou. (Mélennec, Le complot breton, article à venir). La France, par la force des choses, doit signer des paix séparées avec les Anglais, les Allemands, les Espagnols, par trois traités (Etaples, Senlis, Barcelone), les Bretons ayant vite réalisé que leur prétendu souverain les piétine et les humilie, et présenté des doléances répétées, Charles VIII, habilement – et sûrement par nécessité - promulgue le 7 juillet 1492, un texte qui reconnait à la Bretagne plusieurs des droits fondamentaux et pluri-séculaires qui avaient été passés sous silence lors du mariage de Langeais, et dans le contrat de mariage signé à cette occasion, libertés pourtant essentielles (Morice III Preuves 729) ; ce qui n’est pas habituel, car ces contrats de mariage entre souverains de pays distincts, précise toujours les droits respectifs des parties.
. Le Parlement – la cour supérieure de justice du duché -, est rétabli, mais sous une appellation absurde, celle de « Grands jours » : cette juridiction, « qu'on appelle Parlement en Bretagne » - dit le texte -, se tiendront désormais par les présidents et conseillers nommés par le roi ; leurs décisions pourront être frappées d'appel devant le parlement de Paris, c'est-à-dire seront soumises à l'arbitraire royal ; (La Borderie, 4, 587. Marcel Planiol, tome 5, pages 209 et 210).
. les impôts continueront à être votés par les Etats, comme sous les ducs ;
. les Bretons ne pourront être jugés qu'en Bretagne en première instance ;
. ils ne pourront combattre ailleurs qu'en Bretagne que s'ils y consentent ;
. enfin ils obtiennent que les sommes levées pour l'entretien des villes, des murailles, des ponts, seront exclusivement utilisés à ces emplois, sans pouvoir être utilisés ailleurs (Morice, Preuves, III, pages 728).
Ce ne sont ni des cadeaux ni des libéralités de la part du roi Charles VIII, comme le croient Lepage et Nassiet : ces droits appartiennent aux Bretons depuis des siècles, et leur sont reconnus par prudence, sûrement par la crainte des Anglais et de leurs alliés, et parce que Charles VIII envisage depuis des années à aller prendre possession du royaume de Naples, qu’il prétend lui appartenir ; il importe donc de calmer le jeu avec ses adversaires, et d’essayer de désarmer les oppositions en Bretagne.
Le vicomte Jean de Rohan et François d’Avaugour fils bâtard du duc François II, ayant combattu du côté des Français pendant toute la guerre d'invasion, mais qui avaient été chassés de leurs fonctions, sont réintégrés dans la faveur royale : habilement, Charles VIII les nomme lieutenants généraux et gouverneurs de Bretagne le 20 août 1494, avant son départ pour l'Italie et Naples. (Marcel Planiol, tome 5, page 45, Mayenne 1484 ; tome 4, ; Gicquel, Jean II, page 337). Avaugour, au lendemain du mariage d’Anne avec Maximilien avait – selon Gabory, réclamé le trône de Bretagne, au motif qu’elle a épousé un prince étranger ! Quoique bâtard, il avait, lui aussi, des prétentions à devenir duc ! Le voila donc dans un nouveau rôle : tous lui conviennent, pourvu qu’ils lui valent de nouveaux avantages.
CHARLES VIII, MEURT OPPORTUNEMENT EN I498
Le « ménage » de Charles VIII ne remplit pas ses promesses, malgré les grossesses nombreuses de la reine-duchesse, qui témoignent de son fort désir d’avoir des descendants. Le roi, amateur de conquêtes faciles, est infidèle, et trompe son épouse plus que fréquemment, souvent accompagné par son compagnon de libations, le duc Louis d’Orléans, qui - ironie du sort - épousera à son tour Anne de Bretagne, lui devenu roi de France, elle devenue veuve en avril 1498. Il aime les fêtes, les tournois, les dépenses fastueuses, les bijoux, les objets d’art, les châteaux ; il construit le château d’Amboise, palais sans exemple en Europe, d ‘après Commynes ; il ne s’intéresse en aucune façon aux affaires du royaume, rêvant de gloire et de conquêtes, de croisades contre les Turcs infidèles. Il laisse à des conseillers médiocres comme Guillaume Briçonnet, tourangeau, connu sous le nom de cardinal de Saint-Malo, et le sénéchal de Beaucaire, Etienne de Vesc, diriger le royaume. Il se disperse dans des amours innombrables, mais peu glorieuses, préférant les drôlesses : les femmes de service, les putains, les femmes de petite vertu. Anne, chaste et fidèle à son mari, est très jalouse, et lui fait des scènes fréquentes, qui n’ont que pour effet d’accroitre leur mésentente. D’autant qu’il refuse de lui confier la régence du royaume lorsqu’il part en Italie, en 1494. « Ils vivent heureux », écrit La Borderie ; c’est l’inverse : humiliée, Anne, avec ce nabot, est très malheureuse.
Cinq enfants naissent de ce mariage chaotique. Le premier fils, prénommé Charles-Orland, le 10 octobre 1492, est bien portant et intact, vif, éveillé, mais meurt précocement, en décembre 1495. Les quatre autres meurent également, sans qu’on connaisse d’une manière certaine la cause de ces décès étranges. (La Borderie, 4, 588). Dans cette époque où l’on voit la main de Dieu partout, toute l’Europe pense – y compris la duchesse -, qu’il s’agit d’une punition divine, la légitimité du mariage de Langeais étant contestée partout - sauf en France, sous peine de lourdes sanctions pour ceux qui oseraient le faire. Les auteurs actuels pensent, compte tenu des habitudes d’intempérance du roi, qu’il est atteint de maladies vénériennes – probablement plusieurs simultanément -, dont la redoutable syphilis, ramenée en Italie par les marins de Christophe Colomb. (Cf les nombreuses publications sur la toile). L’Allemagne et l’Espagne, en particulier, particulièrement éprouvées par la politique expansionniste de la France, se réjouissent ouvertement, de la disparition de Charles VIII, et, si cruelles qu’elles soient, des morts méritées de ses enfants : « Voila bien la demoiselle de Bretagne bien vengée », écrit un chroniqueur allemand. Ayant réalisé sur le tard qu’elle a été trompée, Anne se réjouit – probablement – de la disparition de cet homme qui a ruiné sa vie et son pays, bien qu’elle affecte un immense chagrin apparent …… pendant il est vrai quelques jours seulement.
Les expéditions de Charles VIII en Italie, à partir de 1494, – où il est accueilli comme un sauveur, les princes locaux étant des tyrans, et presque tous sur leurs trônes respectifs par usurpation -, tournent au désastre. Sous-doué pour les affaires de l’État (comme le sera François Ier), il y commet des fautes graves dans tous les domaines : il dépouille les princes locaux, distribue leurs biens à des Français de son écurie, pille les finances et les trésors du roi de Naples, qu’il ramène en France, se fait couronner roi de Naples le etc. Il est chassé par les troupes italiennes coalisées contre lui, et subit de lourdes pertes à Fornoue, le 6 juillet 1495. Parti avec 30 000 soldats, ses troupes sont réduites à 9000 hommes, mais il affiche au retour des victoires, selon une habitude courante à l’époque. Malgré son échec, il envisage de retourner en Italie.
Charles meurt , le 7 avril 1498 – à la suite d’un traumatisme crânien.
Ce petit homme médiocre, peu intelligent, peu cultivé, ce « nabot couronné » comme le surnomme Bernard Quilliet, a été une catastrophe vivante pour la France, l’Italie, la Bretagne.
Selon le contrat de mariage du 6 décembre 1491, qui lègue le duché au dernier survivant sans enfant, Anne reprend ses titres de duchesse, avec tous les pouvoirs que comporte cette qualité. L’Europe, éprouvée par les incessantes guerres françaises, se rjouit : « Voila bien la demoiselle de Bretagne bien vengée », écrit un chroniqueur allemand.
LE BILAN : LA DESTRUCTION DE LA BRETAGNE.
Les chroniqueurs et les historiens – Lepage et Nassiet, en particulier - , ont été particulièrement indulgents sur le règne de cet homme en Bretagne. En réalité, l’interlude du règne de Charles VIII a été pour la Bretagne – pour la France également -, un désastre. Ce petit homme malingre, naniforme, peu intelligent, imbu de sa personne – bien que très affable, a été considéré, à une certaine époque, comme un héros (Ivan Cloulas, Charles VIII et le mirage italien). Contrairement à ce qu’écrivent Lepage et Nassiet, Charles VIII n’a pas été « accepté » par les Bretons, mais honni, pour des raisons multiples : il est le roi du pays ennemi millénaire, il a envahi un pays pacifique, qui ne demandait qu’à vivre en paix, ses armées ont détruit la Bretagne avec une cruauté peu ordinaire, il a menti tout au long de la guerre, et refusé toutes les propositions de paix, répétitives, qui lui ont été faites – par la duchesse et son père le duc François, par les rois des Romains, d’Angleterre, d’Espagne, le pape …. -, il a violé tous ses engagements, y compris ceux jurés sur les écritures et les reliques, il s’est emparé d’un pays indépendant, antérieur au sien, en violation du droit international, il a imposé à la duchesse un mariage interdit par le droit canonique, il a confisqué tous les pouvoirs ducaux et royaux des souverains bretons, écarté du pouvoir les Bretons, soumis la justice, l’armée, l’administration, nommé ses clients dans tous les postes importants, mis à leur place ses créatures et ce qu’on appelle aujourd’hui des « collabos », gaspillé les impôts bretons pour ses entreprises personnelles, notamment les guerres d’Italie, humilié les Bretons de toutes les manières …. Un bilan désastreux. Les Bretons, n’ayant plus d’armée, n’ont pu ni le chasser, ni même le contester, sous peine de perdre leurs biens, leurs carrières, et sans doute leur vie. C’est une page très noire de notre histoire nationale. Tous ces points sont explicités, et démontrés d’une manière irréfutable dans mon livre intitulé « Anne de Bretagne et l’ignoble guerre d’invasion ». Il a été l’Attila de la Bretagne, ses armées ont été plus cruelles que celles de Hitler.
Il n’est pas exact de dire que le pays a accepté ce roi, parce qu’il aurait fait des « concessions » aux Bretons, notamment en diminuant le taux des impôts, et « accordé » un édit en juillet 1492, rétablissant le Parlement – amputé d’ailleurs de ses prérogatives. En réalité, l’augmentation des impôts sous les ducs étaient entièrement imputable aux invasions des armées françaises , et le rétablissement de certaine prérogatives des Bretons, n’étaient rien d’autre que la restitution de ce qui leur appartenait depuis des siècles. Dès le mois de janvier 1492, un complot réunissant de nombreux nobles a cherché à le chasser ; sans succès, il est vrai (Louis Mélennec, Le complot breton, publié sur la toile). Le chancelier a été humilié dans des termes outrageants quelques mois plus tard, et privé de ses attributions de premier ministre. La vérité est que les Bretons ont dû courber l’échine devant ce dictateur au petit pied, d’autant que, privés de leur armée, il était considéré comme le mari de leur souveraine. En tout, il n’est que l’envahisseur qui a, quatre années durant, mis la Bretagne à feu et à sang, et imposé sa dictature jusqu’à sa mort. Nassiet et Lepage ont écrit un long plaidoyer en sa faveur. L’excellent livre de Jean-Pierre Legay confirme ma sévérité impitoyable à l’égard de ce roi (page 420). A-t-il été affable, comme on l’a dit ? Son comportement en Bretagne et en Italie est celui d’un débile mental.
BIBLIOGRAPHIE
Bischoff Georges, Maximilien Ier, in 1491 La Bretagne terre d’Europe, Brest 1992, page 458..
Cariou Daniel, La cadière d’Anne de Bretagne.
Cloulas Ivan, Les Borgia, Paris éditions Fayard,
Cloulas Ivan, Charles VIII et le mirage italien, Paris 1986, éditions Albin Michel.
Coativy Yves, La monnaie des ducs de Bretagne, Rennes 2006, PUR.
Croix Alain, L’âge d’or de la Bretagne, Rennes, 1993, Ouest-France.
Gicquel Yvonnig, Jean II de Rohan, éditions Jean Picollec,
Labande-Mailfert, Charles VIII, Paris 1984, éditions Fayard.
La Borderie, Histoire, tome 4, pages 585 et suivantes.
La Borderie : Le complot breton de 1492, Nantes, 1884.
Legay Jean-Pierre et Hervé Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, Rennes, 1982, Ouest-France.
Lepage Dominique, Finance et politique, Paris, 1997, pages 7 et suivantes.
Lepage Dominique et Michel Nassiet, L’union de la Bretagne à la France, Skol Vreizh, Morlaix 2003.
Lepage Dominique, Philippe de Montauban, in 1491, La Bretagne terre d’Europe, page 473 et suivantes.
Lobineau, I, page 814.
Mélennec Louis, Anne de Bretagne et l’ignoble guerre d’invasion qui a détruit la Bretagne, à paraître.
Mélennec Louis, Le procès de Rome ; la nullité du mariage d’Anne de Bretagne et de Charles VIII.
Mélennec Louis, Le complot breton, à paraître.
Morice, Histoire, page 210.
Morice, III Preuves 728, 737 ..
Omnès Robert, L’annexion de la Bretagne, vue d’Espagne, in 1491, La Bretagne terre d’Europe, page 503.
Planiol Marcel, Histoire, tome 5 pages 9 et suivantes, pages 23 et suivantes.
Pocquet du Haut-Jussé, Les débuts du règne de Charles VIII en Bretagne, Paris 1957, Bibliothèque de l’école des Chartes. premières années
(2)Sous le règne de Louis XI, le royaume de France s’est agrandi d’une manière importante, par des manœuvres le plus souvent crapuleuses. Le roi annexe à son royaume l’Anjou, le Maine, le duché de Bar, la Provence, la Franche-Comté, l’Artois. N’étant pas en capacité de porter la guerre en Bretagne, en 1479, il fait semblant d’acheter des droits – inexistants – sur le duché de Bretagne, à Nicole de Brosse-Bretagne, lointaine descendante de Jeanne de Penthièvre, jadis duchesse de Bretagne, pour une somme de 50 000 écus, avec promesse de restituer à celle-ci ou à ses héritiers les seigneuries dont sa famille a été privée. (La Borderie, tome 4, pages 494 et suivantes).
(1) Les mariages entre souverains sont, à cette époque, fréquents ( Isabelle, reine de Castille épouse Ferdinand, roi d’Aragon ; Philippe II roi d’Espagne épouse Marie Tudor, reine d’Angleterre ; Maximilien d’Autriche épouse Marie de Bourgogne ; Anne de Bretagne épouse Maximilien, roi des Romains ...)
Ces mariages ne se traduisent que rarement par la phagocytose d’un Etat par l’autre ; les deux pays conservent leur dynastie, leur gouvernement, leurs institutions, leur fiscalité, leur législation, leurs règles constitutionnelles ...
LOUIS MELENNEC