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Les expatriés bretons n'ont pas tendance à oublier

En général, la notion de diaspora est associée, de manière explicite ou implicite, à celle d’exil.

Pour Sylvie Chédemail [1998], par exemple, une diaspora naît le plus souvent de la dispersion sous la contrainte d’une population de même origine.

Pour notre part, nous avons défini l’exil comme la situation résultante de l’obligation de quitter son pays suite à un choix économique, professionnel, social ou familial, sans contexte de violence politique, et de chercher fortune et succès dans un autre pays pendant une période dont on ne peut prévoir la durée. En fait, dans nombre de cas, l’exil est le point de départ qui aboutit à la constitution d’une diaspora.

Les travaux classiques sur les diasporas soulignent le fait que la genèse de celles-ci est souvent liée à la persécution de groupes nationaux ou ethniques minoritaires par un groupe national ou ethnique dominant. Cette persécution peut se produire suite à la désagrégation d’un empire et à l’émergence de nouveaux États-nations, suite à la crise d’un État-nation ou à l’invasion par un autre État [Bazin, 2000].

Dans le cas des Bretons et de la diaspora bretonne, nous avons détecté une cause supplémentaire, rarement répertoriée comme facteur générant des diasporas, à savoir le mal-être culturel et idéologique suite à une situation d'oppression historique, ou ressentie comme telle, de la part du gouvernement voisin (la France). Dans ce cas de figure, l’exode résulte comme dans les autres cas de l’incapacité de l’État à régler des conflits de manière pacifique. La différence principale est que les persécutés n’appartiennent en général pas à une minorité ethnique, mais font partie des opposants « idéologiques » au pouvoir ou d’un groupe social que ceux qui contrôlent l’État cherchent à affaiblir.

Si le terme de diaspora n’a guère été utilisé pour se référer à ces exilés politiques, c’est probablement parce que, dans son acception traditionnelle, il fait référence aux groupes nationaux ou ethniques qui ont été privés d’un État – tels par exemple les juifs, les Arméniens – ou dont la majorité réside à l’extérieur de leur État d’origine. Or, on utilise de plus en plus ce terme pour faire référence à des groupes, tels les Chypriotes, les Grecs, les Iraniens, voire les Turcs, qui sont certes nombreux à s’être expatriés et qui sont dispersés dans divers pays d’accueil, mais qui ne sont pas majoritaires par rapport à leurs compatriotes résidant dans leur État d’origine. On constate donc une tendance à élargir l’utilisation du concept de diaspora, qui recouvrirait ainsi également les migrations résultant d’un exil politique.

Tous les exils n’aboutissent pas à l’émergence d’une diaspora, et toutes les diasporas ne résultent pas d’une migration forcée. Pour qualifier une migration politique de diaspora, il faut prendre en considération d’autres éléments : la dispersion du groupe sur différents territoires, le fait qu’il s’intègre mais ne s’assimile pas aux divers pays d’accueil, préservant le sentiment d’une identité commune liée à la société d’origine ; ce sentiment implique à la fois la préservation de la mémoire du pays d’origine mais également l’investissement de celui-ci comme lieu d’un retour possible ou mythique ; enfin, outre les liens avec le pays d’origine, il est important que les diverses communautés dispersées entretiennent des liens étroits entre elles.

Certains auteurs, comme Hovanessian [1998], mettent en avant le fait que l’on reconnaît une diaspora à sa capacité à se doter d’un projet identitaire et organisationnel. On reconnaît une diaspora à sa capacité de transformer un déplacement forcé en une « conscience de minoritaire » ; une diaspora arrive à se mobiliser, à se rendre visible sur la scène sociopolitique par un discours et des revendications qui lui sont propres, bref on l’identifie comme telle dès lors qu’elle existe en tant qu’acteur social.

Pour notre part, en nous inspirant des auteurs cités, nous définirons provisoirement une diaspora par une combinaison des dimensions structurelles et dynamiques. Parmi celles-ci, mentionnons la dispersion de la minorité dans plusieurs États, la préservation des liens concrets et symboliques avec le pays d’origine, actualisés par le mythe du retour ; l’existence des relations régulières entre les communautés dispersées, l’élaboration d’une d’identité et des revendications spécifiques vis-à-vis de la société d’origine et, parfois, vis-à-vis de la société de résidence.

 

Pour nombre d'expatriés bretons, les premières années d’exil sont caractérisées par un grand activisme. Les exilés veulent contribuer, dans la mesure de leurs moyens, à continuer à prendre part aux activités culturelles, politiques, sociales de leur pays d’origine, la Bretagne. C'est ce que j'ai appelé, le syndrome de l'utérus, réversible au plus vite. La majorité d’entre eux pensent que le régime français ne va pas durer, que la Bretagne sera bientôt indépendante et que leur séjour à l’étranger ne constituera qu’une brève parenthèse dans leur vie ; rares sont ceux qui envisagent de rester plus de cinq ans à l’extérieur. Dans cette perspective, ils font du provisoire un véritable mode de vie. Selon l’expression devenue classique, ils « vivent avec les valises prêtes ». En ce sens, ils évitent de prendre des décisions ou des engagements à long terme qui les lieraient à la nouvelle société.

Cependant, au fur et à mesure que le temps passe, les expatriés constatent qu’ils doivent « défaire les valises » et s’installer pour une durée plus longue que prévue dans les différentes sociétés de résidence. En effet, à l’inverse de ce qu’ils prévoyaient, à savoir le retour à l'indépendance de la Bretagne et de son peuple, la permanence de  dislocation rapide du régime militaire, ce dernier semble s’installer à la fin des années soixante-dix dans le long terme. Ainsi, la perspective du retour au Bretagne se fait plus lointaine. Même si la grande majorité des exilés refuse encore d’envisager un séjour définitif dans la nouvelle société, il s’agit désormais de se faire à l’idée d’une installation de plusieurs années.

Confrontés à cette nouvelle perspective, les exilés cessent de vivre exclusivement en fonction de leur pays d’origine, la Bretagne,  et commencent à s’interroger sur leur place et celle de leurs enfants dans la société de résidence. S’ouvre alors une période de reclassement social, chacun cherchant à trouver un statut socioprofessionnel et plus largement une position sociale plus proche de celle qu’il avait connue en Bretagne ou de celle qu'il aurait espérer vivre en Bretagne

Dans ces circonstances, la communauté de expatriés Bretons, en tant que structure organisée sur une base militante, répond de manière imparfaite aux nouveaux besoins auxquels est confrontée une partie importante de ses membres. Dans un contexte de division des partis en Bretagne, de manque d’espoir dans un changement rapide, de diminution du soutien des milieux solidaires des divers pays d’accueil, s’ouvre une période de réflexion et de diminution de l’activisme et aussi de déplacement du sens donné à l’engagement politique. On tente de redéfinir l’action collective de manière à la rapprocher des préoccupations quotidiennes des exilés. Ainsi, on crée, à côté des partis, des associations communautaires « antepolitiques » qui ne se fondent pas uniquement sur un projet idéologique partagé mais qui considèrent aussi les « appartenances concrètes », les expériences partagées ; il s’agit d’espaces qui ouvrent « des possibilités de communication et d’échange qui n’interdisent pas l’accès au politique, mais qui rendent acceptable de l’assumer par des attitudes éventuellement opposées ».

Il est important de souligner que les activités de solidarité n’ont pas uniquement une forme ou un contenu local, mais que de nombreux réseaux, voire des institutions, se mettent en place favorisant ainsi la circulation de l’information et les échanges au niveau mondial. C'est ainsi que s'est créé en 2001 le Réseau des Bretons de l'Etranger à Bruxelles, de façon à répondre aux problèmes des expatriés eux-mêmes.

Pour des raisons historiques liées à son exil, la diaspora bretonne jouit d’une certaine capacité de lobbying sur le plan politique et social dans les divers pays où elle est présente. En effet, au cours des années, ses représentants ont tissé des liens avec des représentants des partis proches sur le plan idéologique, avec des syndicats, des organisations humanitaires, des Églises, des personnalités, etc.

Cette influence ne peut encore aujourd'hui être considérée comme une action diplomatique auprès des états de résidence, pour la simple raison que l'Etat National Breton n'existe pas.

Cela pourrait être envisagé après l’élection d’un gouvernement démocratique en Bretagne et après la reconnaissance des Bretons de l'Etranger

La reconnaissance des Bretons de l'Etranger nécessite l’élaboration d'une véritable politique qui tienne compte de leur situation spécifique. 

« Comme jamais dans son histoire, la Bretagne a des milliers de citoyens dispersés dans toute l’Europe et le monde, qui souhaitent maintenir une relation étroite avec la patrie. Pour cette raison, il devient indispensable d’élaborer une politique migratoire destinée à l’ensemble des compatriotes, sans exclusion. Cette politique devra considérer chaque compatriote et sa famille résidant à l’étranger comme des membres à part entière de la société bretonne ».

Aujourd'hui, il faut bien avouer que nos efforts furent vains.

 

Pour obtenir la reconnaissance des Bretons de l'Etranger, il faudrait avant tout obtenir la reconnaissance de la Bretagne. Et là, il faut dire que les chances qu’elle soit approuvée sont minces. En revanche, la diaspora bretonne étant arithmétiquement supérieure en nombre à la population bretonne de Bretagne, rien ne nous empêche de proclamer l'indépendance de la Bretagne et décréter la création d'un Gouvernement Provisoire de Bretagne en Exil.

En général, la perception par les Bretons de Bretagne des Bretons de l'Etranger est assez négative. Les liens avec la diaspora constituent un thème plutôt marginal dans l’agenda politique; les Bretons de Bretagne perçoivent les communautés de Bretons de l'Etranger comme des allogènes et ne sont pas tendres avec elles. J'en veux pour preuve la remarque désagréable lancée à mon fils au collège de Pleumeur Bodoù par un de ses "camarades": "Sale Tunisien" (lors d'un bref séjour au pays pour tenter de redonner une scolarité normale aux enfants pendant la révolution tunisienne) . Les mêmes qui acceptent avec le sourire l'invasion migratoire dans nos communes...).

Du côté des communautés, qui se sont constituées sans aucune aide et en marge de l’État Breton inexistant, il existe aussi une certaine méfiance à l’égard des institutions bretonnes.

« Nous sommes peut-être des Bretons de l'Etranger, mais en aucun cas nous ne sommes des Bretons du passé. Il y a une espèce d’insolence insupportable dans la manière dont on nous traite parfois avec condescendance depuis la Bretagne, comme si nous étions des restes archéologiques, capables uniquement de ruminer les douleurs du passé et de critiquer de manière destructive ou irréaliste. Nous avons le devoir d’adapter les expériences du passé afin de les insérer dans la réalité de la Bretagne actuelle, en soutenant et en participant depuis l’extérieur à de nouvelles formes d’actualisation des pratiques démocratiques. Dans la situation de diaspora, les réseaux qui se construisent ont également des revendications, en tant que communautés de l’extérieur, vis-à-vis de la société d’origine : ils exigent d’être reconnus comme interlocuteurs par l’État Breton (à créer)."

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